Quelques réflexions parmi les nombreuses notes de terrain de Christophe, publiées dans le recueil-hommage “Le Royaume préservé”

 

Le sentiment de révolte naît d’une confrontation entre l’élan vital d’un être et le vide créé par ce qui déstabilise toute cohérence. Comme une jeune pousse peut être contrariée par les aléas issus de son environnement et frayer son chemin en luttant autant que nécessaire pour atteindre la lumière, un être humain peut sentir en lui la révolte comme la sève lui permettant de grandir, de se sentir vivre, de s’épanouir, et par conséquent d’être heureux.

 

La contemplation précède la révolte. L’époque du seul plaisir est révolue.

 

Le manque d’eau fait mourir les arbres. Le manque d’amour fait mourir les poètes.

 

Une obsession : lutter intérieurement contre la perception formatée.

 

Je m’étonnerai toujours de ne pas trouver davantage, chez les humains, cette aptitude à discuter de choses qui peuvent paraître étrangères à notre monde intérieur, mais qui pourtant, en toutes circonstances, ont le pouvoir de nous enrichir. Sommes-nous voués à la pauvreté ?

 

Le cauchemar que je fais depuis que je suis petit (des billes qui deviennent grosses comme des planètes et nous écrasent), c’est celui de l’avenir, celui de la société qui ne cessera de croitre et de nous écraser.

 

Mais pourquoi donc, au sortir des beaux rêves dans lesquels vous ont conduits les poètes, retombez-vous dans
l’acceptation de la vilenie ?

 

Pour survivre dans ce monde où les humains détruisent la beauté, je devrai apprendre à ne plus aimer.

L’être humain a pris pour triste habitude de se servir de la nature pour se montrer, et non l’inverse qui consisterait à vouer nos vies à l’harmonie du monde.

Contrairement aux humains, les moutons savent encore marcher dans l’herbe.

 

La rentabilité s’est infiltrée partout, jusque dans les regards qui cherchent en toutes choses un but ou une utilité. La beauté présente en ce monde vient de ce que l’on parvient à éprouver de manière désintéressée, et non de ce que l’on cherche à s’octroyer.

 

L’intensité d’un message est lié à l’étendue de ses propos, aux contrastes qui le constituent, aux extrêmes qu’il nous fait percevoir. Le mélange de douceur et de cruauté, de calme et de tension, d’agréable et de terrifiant, fait naître en nous un sentiment vertigineux qui relie nos sens à l’essence même de l’existence.

 

Souvent, je suis allé poser mes yeux par-delà les repères que nous nous sommes fixés. J’ai parcouru les cimes escarpées, et y ai découvert, dans leurs coiffes ennuagées, la présence d’un espace où mes rêves étaient libres de vivre. Dans les forêts que les hommes avaient oubliées, j’ai suivi le chemin de quelques fées qui naviguaient en silence parmi les courbes des racines et des vieux troncs cambrés. Lentement, je me suis immergé dans l’innocence des eaux de sources ensauvagées.

 

Quand le grondement des foules a muselé le doux murmure de la subtilité, quand le profit a fait affaire avec les faux-semblants d’intégrité, quand les pensées ont eu pour principal désir celui de se complaire dans leur pesante majorité, j’ai vu s’éteindre une lumière, et dans le noir, un peu perdu, j’ai espéré revoir briller toutes les richesses de ton sourire.

 

La vie peut sembler difficile pour certains, alors qu’elle paraît si fluide pour d’autres. Peut-être me dira-t-on que nous sommes tous ainsi lotis. Sans doute y a-t-il une interprétation propre à chacun des événements perçus. Malgré tout, il semble évident, et qui plus est logique, que les “bien pensants” qui se conforment au moule dans lequel on les met trouvent plus facilement leur place que ceux qui se refusent à vivre le quotidien qu’on leur impose.

 

Depuis longtemps je parcours des espaces préservés en exerçant mon métier passion qu’est la photographie de nature. Un monde merveilleux s’est ouvert à mes yeux, réveillant une part assoupie de mon esprit. Mais en même temps, un fossé s’est creusé. Quels mots devrais-je maintenant utiliser pour faire entendre à mes semblables les doux murmures que j’ai appris ?

 

Il faut “interdire” pour que la nature reste belle. À défaut d’éprouver envers la nature un respect salvateur qui permette de se passer de ces contraintes artificiellement posées, les dédits des humains contemporains se doivent d’être canalisés. Mais ces restrictions qui leur sont imposées du champ ouvert au monde – rendu toujours plus cloisonné, étriqué et “réglé” – ne feront qu’amplifier la fracture homme-nature, qui du coup nourrira les excès dénaturés et débouchera sur de nouveaux interdits.

 

Lorsque nous décrétons qu’une zone naturelle doit être protégée, mise en réserve, ce sur prétexte de la préserver, nous la privons de sa liberté d’être ce à quoi elle aspire.

 

Je te souhaite bien du plaisir.
Mais du plaisir, sans nul doute tu en auras.
 À ne courir qu’après lui, il finira par t’embrasser jusqu’à ce que tu y perdes ton souffle. La peine que tu as voulu fuir te ravira tes rêves, car ces rêves-là sont de ceux dans lesquels l’égoïsme a choisi de se complaire.